LA GAUCHE ITALIENNE DANS L'EMIGRATION

Publié le par Jean-Louis Roche

par Lucien Laugier (écrit mémorialiste écrit dans les années 1970)

 

 

Bordiga ne s'est jamais vraiment étendu sur la période d'émigration du mouvement qui, bon gré mal gré, est resté lié à son nom. Nous examinerons ultérieurement les diverses hypothèses qui peuvent expliquer un tel silence. Retenons pour l'instant la spécificité de cette période qui peut intéresser l'historien dans la mesure où elle consigne une expérience originale directement vécue au contact de différents groupes oppositionnel au moment précis où se déroulaient des événements pour le sort du siècle.

 

Les communistes italiens, pour la plupart jeunes, qui, vers 1923-24, échappèrent à la répression fasciste en se réfugiant en France, en Belgique ou même en quelque lieu plus éloigné, possédaient une rude expérience politique, âprement mûri dans la lutte contre les chemises noires. Mais il est très probable qu'ils ignoraient tout du communisme dans les autres pays - et particulièrement de celui d'Allemagne ou l'aile radicale du mouvement pouvait se comparer à celle des « abstentionnistes » italiens. De plus ils étaient appelés à vivre de plus près et plus directement que leurs camarades emprisonnés en Italie les pénibles étapes qui se conclurent par le triomphe du stalinisme dans tous les PC. Ils vérifièrent en quelque sorte de leurs yeux le bien-fondé des mises en garde que la Gauche italienne avait formulées en vain auprès de l'Internationale ; ils enregistrèrent, en somme dans le détail, la réalisation méticuleuse du processus de décomposition qu'ils avaient dénoncé sans avoir pu y sensibiliser une base ouvrière avec laquelle, pourtant il s'acharnèrent désespérément à rester en contact.

Une telle expérience, dont Bordiga retint exclusivement les grandes lignes historiques dans le bilan établi au lendemain de la guerre, peut être considérée comme "l’acquis" plus particulièrement propre à la fraction émigrée de la Gauche italienne. Elle permit à cette fraction d'opérer au contact d'opposants de gauche non-italiens, une radicalisation d'attitude théorique sur certains points en avance sur celle des militants de gauche restés en Italie et sur Bordiga lui-même.

 

Les détails en étaient peu ou pas connus avant que la brochure du C.C.I. ne nous en fournisse un nombre impressionnant qui, textes à l'appui, nous éclaire sur l'évolution des «bordiguistes » émigrés sous l'effet du « milieu » historique dans laquelle la force des choses les avait propulsés. Les contacts avec les militants de la Gauche allemande furent quelquefois directs, mais directs encore davantage les heurts avec la direction du PCF, qui avait accepté « les bordiguistes » émigrés mais, à force d'intolérances et de turpitudes, les contraignait à séjourner comme en un camp retranché. Le « kapédisme », ouvertement condamné par Bordiga, fut également rejeté, au plan « officiel » par la fraction émigrée de la gauche italienne, mais avec beaucoup plus de nuances et en ne se limitant pas à refuser les points de divergence centrale avec la position « bordiguiste » : primauté du parti sur les conseils. Le «kapédisme  » n'en influença pas moins la Gauche italienne émigrée : dans les cas extrêmes il y eut au sein de celle-ci de véritables conversions aux thèmes des communistes de gauche allemands ;  dans les cas modérés, les conceptions « bordiguistes » s'infléchirent partiellement en faveur des critiques formulées par la gauche allemande à l'adresse du « pouvoir prolétarien » et de la défiance qu'elle préconisait à l'égard de ce pouvoir durant toute la période transitoire vers le socialisme. Que ces critiques et réserves se soient imposées aux émigrés de la gauche italienne sans les déloger de leur position de principe sur la question du parti et de la dictature du prolétariat, sans leur faire abdiquer en un mot que l'essentiel de leur « bordiguisme », voilà qui démontre, chez ces critiques et réserves, une force suggestive que ne s’explique que par la nature objective, indiscutable des griefs « kapédistes ».

Ces griefs, Bordiga, comme nous l'avons vu précédemment, n'a jamais voulu les prendre en considération et, comme le rappelle la brochure, l'a clairement signifié, surtout en ce qui concernait un point qu'il jugeait inacceptable : la lutte contre l'organisme syndical, jugé par la Gauche allemande comme ouvrier mais « intégré » au capitalisme, perdu pour le prolétariat, alors que, selon Bordiga, il demeurait encore et toujours, même s'il était corrompu, un vrai « centre ouvrier ».

 

La formation de la K.A.I. par Gorter - qui fixe en la Russie soviétique le principal ennemi du prolétariat mondial - rend irréversible la rupture entre la Gauche allemande et la Gauche italienne. Pourtant, au moins entre Bordiga et un « bordiguiste » émigré et gagné aux positions kapédistes, les relations ne semblent pas rompues. Pappalardi, ex-abstentionniste, très informé des positions du KAPD connues par lui lors de ses séjours en Allemagne et en Autriche, est à ce point convaincu de la justesse de ces positions qu'il démissionne du parti communiste d'Italie vers 1923, s'installe en France, traduit et présente au cinquième congrès du PCF (Lille, 1926) les « Thèses de Lyon » de Bordiga[1] et s'efforce de convaincre ce dernier.

On sait déjà que Bordiga ne fut pas de cet avis ; mais tout laisse croire que l'initiative de Pappalardi ne heurte pas les militants de la gauche d'Italie émigrée, parmi lesquels Damen, à cette époque récemment arrivé à Paris et représentant officiel des « bordiguistes » auprès du PCF, conserva depuis certaines positions proches de celles du KAPD et dont on retrouve comme une trace lors des désaccords qui surgirent bien plus tard, en 1951-52, entre l’intéressé et Bordiga.

 

Cet embryon de greffe «kapédiste» sur le bordiguisme impliqué un certain éclectisme dont il faudra tenter de trouver la clé lorsque nous en viendrons à la situation qui provoqua la rupture de 1951-52. L’échec d’une autre « greffe » beaucoup plus caractérisée – celle à laquelle est liée le nom de Pappalardi – nous retient pour l’instant car ses péripéties jettent un jour intéressant sur la situation des groupes révolutionnaires en France vers le milieu des années 1930.  On ne peut à ce propos éviter quelques considérations sur l’avantage relatif du bordiguisme, dans sa position pourtant inconfortable d’opposant par rapport à cet autre opposant, plus radical encore, qu’était le kaapédisme. A l’échelle des influences respectives des deux mouvements, le paradoxe fut peut-être que celui qui possédait la conscience la plus exacte de la situation du prolétariat et de la fonction qu’assumait déjà la IIIe Internationale, fut, de ce fait-là, plus faible et plus imprécis que celui dont les illusions encore vivaces sur la possibilité de réveiller ce prolétariat et de « redresser » cette Internationale constituaient une précieuse force et un solide ciment.

Nous avons déjà essayé d’expliquer pourquoi Bordiga ne pouvait voir le kaapédisme qu’au travers du prisme déformant de Lénine, des bolcheviks et même… du « droitier Lévi ». Mais ici, dans l’alternative de 1926, cette incompatibilité idéologique est marquée par des divergences plus immédiates. Outre les nuances qui séparent les deux courants oppositionnels quant à la perspective générale – les « bordiguistes » se polarisent beaucoup moins que les kapédistes sur la prévision d’une crise catastrophique du capitalisme – leurs situations respectives les propulsent dans des voies opposées. Les kapédistes ont bien compris qu’il était impossible de « redresser » l’IC, mais non seulement ils n’ont même pas pu le tenter au 3e congrès mais ils sont depuis totalement hors du mouvement réel. Les « bordiguistes » par contre, constituent encore une force, et une force compacte dans le mouvement international. En France, ils détiennent la majorité dans la partie politisée de l’immigration italienne, ils ont encore un certain temps la possibilité de s’exprimer dans le PCF[2]. Il est donc normal que cette forme les incite à rester dans l’IC pour y agir et à conserver cette possibilité le plus longtemps possible, fut-ce en y subissant censures, brimades, vexations de toutes sortes.

 

S'il n'est pas impossible qu'au vu de cette situation « privilégiée » des « bordiguistes », Pappalardi crut le moment venu de concilier les positions de la gauche allemande et de la gauche italienne par une sorte de renforcement mutuel des deux courants, ceci devint bien plus difficiles les années suivantes - cette fois non pas à cause de réticences des « bordiguistes » à l'égard des kapédistes mais au contraire parce qu’un certain nombre de partisans de Bordiga en vinrent à penser qu'il n'était plus possible d’oeuvrer « dans la mouvance de l'internationale ». À ceux-là, il n'était plus possible de différer le choix : ou « accepter » la poursuite du militantisme dans l’I.C. ou rompre avec la fraction « bordiguiste » émigrée. À ce point l'évolution de la situation, l'attachement à Bordiga de certains militants émigrés, de même que l'extrême faiblesse des moyens matériels dont disposait Pappalardi, entre en ligne de compte, peut être tout autant que les divergences d'orientation entre les « deux gauches », pour expliquer son échec.

Cet échec ne se réalisa pas une façon rectiligne. Lors ce que la contre-révolution stalinienne devint active et évidente - tout au moins spectaculaire - le groupe formé autour de Pappalardi se renforça.  L es « bordiguistes » qui  le rejoignirent à ce moment-là - et par là adoptèrent des positions proches de celles du KAPD - furent mûs par l'impatience que provoquait en eux la tactique d’attente préconisée par Bordiga. Il faut noter à ce propos que le désaccord de ce dernier avec les opposants de gauche allemand n'est pas aussi « dogmatique » que ce qu'on peut le croire à l'examen de la nature des divergences avec KAPD, et, surtout, qu’il fut aussi impitoyable que l'on s'est complu à le penser quelque 30 ans plus tard. Si Bordiga est prudent et méfiant à l'égard de la nouvelle gauche apparue dans le parti communiste allemand officiel et dont le chef est Korsch, c'est moins parce qu'il n'en partage pas les positions idéologiques ou qu'il les trouve trop imprécises que parce qu'il en désapprouve totalement la tactique : rompre avec l'Internationale communiste, créer de nouveaux partis communistes. Une conviction demeurera au contraire inébranlable chez Bordiga : il ne faut pas songer à la construction de partis révolutionnaires aussi longtemps que la situation objective n'évoluera pas vers des conditions elles-mêmes révolutionnaires. Cette position de principe épargnera aux bordiguistes bien des déconvenues semblables à celles qui affectèrent leurs « frères rivaux », les trotskistes, mais elle usa un certain nombre d'entre eux qui ne pouvaient supporter leur immobilité politique forcée au moment où le stalinisme commencé à se démasquer - tout au moins aux yeux des informés. Ces informés étaient précisément très peu nombreux ; ce qui explique bien des choses, notamment le souci de Bordiga et de ses adeptes de démontrer la trahison stalinienne avant d'en tirer toutes les conséquences logiques et définitives, mais laisse supposer aussi - ce qui reste encore obscur en l'état actuel des choses - que le bordiguisme « orthodoxe » ne réalisait pas intégralement l'étendue et la portée de l'influence prise par Staline et sa clique dans l'international et le parti russe. Sur ce point pèseront, des années durant, une équivoque et un doute qui empoisonneront encore longtemps après les rapports entre Bordiga et Damen, ce dernier soupçonnant, chez le leader de la gauche italienne, la persistance d'une tendance à minimiser la place primordiale de la Russie et de son réseau politique international dans le camp de la contre-révolution.

Il semble bien en tout cas que la fraction émigrée de la Gauche italienne affichait plus catégoriquement que son chef la conviction du caractère irréversible de la défaite des éléments révolutionnaires à l'intérieur des organisations communistes de tous les pays. Ce qui permet de comprendre pourquoi Pappalardi rallie un certain nombre de « bordiguistes » et les gagne aux conclusions du KAPD selon lesquelles la Russie et l'Internationale n'étaient pas seulement contaminées par le « centrisme » et « l'opportunisme » mais représentaient l'ennemi numéro un de la révolution et du prolétariat.

Il est visible aujourd'hui que cette perception était la plus exacte de son temps, malheureusement beaucoup trop en avance sur ce qui pouvait être déduit des phénomènes politiques connus et beaucoup trop mortelle pour les espoirs placés dans le rôle historique de la Russie « socialiste ». La seule idée de douter de la fonction révolutionnaire de ce pays et de la sincérité des PC était littéralement inaccessible à la totalité des ouvriers.[3] Pour faire comprendre le caractère absolu de cette impossibilité il faudrait brosser tout le tableau de cette époque. Qu’on se borne ici à tenir compte du fait que les prises de position du KAPD et de ses adeptes ex- bordiguistes sur la fonction contre-révolutionnaire de l'URSS et de son réseau mondial d'influence date du milieu des années 1930. Or le tournant politique sensationnel à la suite duquel le stalinisme se reconvertira totalement à l'idéologie politique de la société bourgeoise (patriotisme, « valeurs démocratiques », Défense nationale) ne se produira qu'une dizaine d'années plus tard, tandis que son adhésion à l'idéologie économique du capitalisme (concurrence, productivisme, autonomie des entreprises) exigera une décennie de plus - ces « retards » étant dûs autant à la stratégie complexe et contradictoire du réseau stalinien international qu'aux lenteurs de la modernisation « à l'américaine » des moeurs sociales européennes. Le vrai visage de l'univers stalinien ayant exigé 20 années pour se montrer au grand jour, les premiers à s'en étonner ne devraient pas être ceux qui ont attendus Soljetnisyne pour croire en l'existence du Goulag…

La psychologie des travailleurs à cette époque, l'intérêt à court terme des coteries parlementaires du parti socialiste et du parti radical, l'attitude veule des écrivains « engagés » à l'égard de Moscou, tout un ensemble de conditions que les années 1930 devaient encore accentuer, s'avérait donc défavorable à l'acceptation, par un quelconque secteur de l'opinion, des positions du groupe Pappalardi. Même dans la frange étroite et sans audience des révolutionnaires proscrits, cette situation se répercute, provoquant une des premières manifestations de cette stagnation de la critique qui caractérisera longtemps le communisme anti-stalinien qui ne découvre d'autres systèmes de référence que celui qui consiste à toujours remonter plus haut dans le temps pour situer l'origine de la « dégénérescence » de la révolution russe, se raccrochant finalement à la position de Rosa Luxembourg, adversaire en 1919 de la formation, qu'elle jugeait prématurée, de la IIIe internationale. Ainsi en est-il de Pappalardi et de ses amis qui, en 1927, constatent qu'il n'existe plus de dictature du prolétariat en Russie et qui, reprochant à Bordiga de ne pas former un nouveau parti communiste, se rallient à la position de Gorter qui a déjà rompu avec l'Internationale communiste et formé la KAI.

 Mais à cette époque, ce qu'on considère alors comme « la Gauche allemande » n’a plus la netteté idéologique et le radicalisme du kaapédisme du début. C'est un regroupement sans grande base théorique de communistes sincères que la politique de l'internationale a déçus et qui sont définitivement écoeurés par la prédominance éhontée qui exerce, par l'intermédiaire des représentants du PC russe, une pure et simple stratégie d'État.  le groupe de Pappalardi achoppe doublement sur la fragilité même courant dont il a accepté les positions, sur la faiblesse de ses propres moyens et sur son propre éclectisme théorique.  

Il ne s'agit pas ici de se livrer à une critique pédante et tout à fait illégitime de ces diverses précarités, mais au contraire de les indiquer pour mettre en évidence l'impuissance dramatique qui n'a cessé de caractériser toutes les tentatives faites durant ces décennies ingrates pour sauver le mouvement prolétarien. L'éclectisme théorique n'est pas un grief laissant à la charge de militants qui démontraient déjà un énorme courage, autant moral que physique, en osant mettre en cause une idolâtrie politique qui comptait à travers le monde des centaines de milliers, voire des millions d'adhérents. Cet éclectisme et cependant le trait négatif des oppositionnels de cette époque et il apparaît sous son jour cruel à l'examen rétrospectif de leurs efforts désespérés et vains.    

 

Les noms, dans cette affaire ne désignent pas des thaumaturges, mais servent de points de repères pour situer les errements et les évolutions contradictoires. Bordiga, dans une certaine lettre de 1926 à Korsch, s'était doublement opposé à lui : d'abord sur l'initiative qu'il jugeait prématurée d'un regroupement de tous les opposants de gauche ; ensuite sur le projet d'abandon des organisations contrôlées par Moscou ; dans lesquelles Bordiga voyait encore le seul lieu où une régénération du mouvement prolétarien pouvait être tentée. Si le leader de la Gauche italienne fit totalement fausse route sur le second point, son intuition ne le trompa guerre en ce qui concernait le premier. La même année, Korsch se rapprocha de Maslow et Ruth Fischer, les plus aventuristes manoeuvriers du K.P.D., et qui, avant d'être exclus par Staline avait soutenu ce dernier de la manière la plus honteuse et ce dans l'unique intention de conserver la direction du parti allemand - une considération qui aurait dû… les déconsidérer aux yeux d'un Korsch qui s'était dressé contre le manoeuvrier de l'Internationale. Korsch, d'ailleurs, liquida lui-même son propre groupe au profit du groupement trotskiste « Lénin-bund » et de la social-démocratie.

Les autres faiblesses du groupe Pappalardi apparaîtront lors d'ultérieures vicissitudes. Bien qu'ayant rompu en juillet 1927 avec les « bordiguistes » officiels groupés autour de Vercesi, Pappalardi et ses camarades continuaient à se réclamer de l'autorité idéologique de Bordiga. Mais selon la brochure du C.C.I., la plate-forme de leur publication - le « Réveil communiste » - présentait une imprécision visible. Sa critique de l'URSS était directement empruntée au KAPD : la révolution d'octobre a été une révolution prolétarienne qui a perdu ses caractéristiques fondamentales avec l'instauration de la N.E.P. et la fin du « communisme de guerre ». Sur ce point, le « réveil communiste » se délimite catégoriquement de l'idéalisation du léninisme par Vercesi et Bordiga auquels il reprochera bien vite leur « politique de présence » dans l'Internationale communiste. Encore plus sévère à l'égard du trotskisme, le « Réveil » s'écartera également de Korsch (après l’avoir soutenu) à cause de son rapprochement avec Maslow-Fischer et de sa décision de dissoudre son groupe.

Sur le plan matériel, la tendance de Pappalardi ne s'effritera que deux ans plus tard. Mais il faut interrompre un instant le récit de ses péripéties pour noter au passage un trait surprenant qui, par contraste, a fait la force de la Gauche italienne.

Dans les conditions déjà indiquées, le groupe Pappalardi évolua vers une critique de plus en plus dure de l'URSS, en mettant en cause non plus seulement la politique stalinienne mais en faisant remonter les responsabilités de la « dégénérescence russe » jusqu'à l'oeuvre de Lénine et des bolcheviks. Cette position aggrave et rend définitif l'isolement déjà extrême du groupe (qui compte à peine une vingtaine de militants). Le « Réveil communiste », qui accuse ouvertement le pouvoir bolchevik de n'être plus la dictature du prolétariat mais le pouvoir d'une « caste qui s'est soudée avec l'idéologie de la nouvelle bourgeoisie » (formules citées dans la brochure du CCI, page 34) et le seul organe oppositionnel de cette époque à ne pas préconiser la défense de l'URSS. Pour ce crime de lèse léninisme, les amis de Pappalardi sont désormais pris à partie par les bordiguistes émigrés. Le débat reste courtois, fraternel même, mais la position prise par Vercesi, certainement en accord avec Bordiga, ne peut aujourd'hui manquer de retenir l'attention par deux aspects importants. D'une part elle témoigne de l'alignement respectif des « bordiguistes » et de ceux qu'influence la « Gauche allemande » dans le grand schisme du communisme des années 1920 entre l'école idéologique bolchevik et ce qu'on appellera plus tard le « marxisme occidental ». D'autre part, il est bien visible que c'est à cette fidélité au léninisme que « l'orthodoxie » de la Gauche communiste émigrée doit de demeurer une véritable force politique. Devant l'intransigeance anti-bolchevik du « Réveil communiste » et l'impossibilité, pour le groupe de Pappalardi, d'ouvrir une perspective d'action, certains de ses éléments rejoignent le groupe de Vercesi qui, selon la brochure du C.C.I., voit se développer autour de sa plate-forme plusieurs noyaux d'opposition.

Cependant pour le groupe de Pappalardi, ce n'est pas encore l'heure de la liquidation. Affluence ou désertion ne se comptent d'ailleurs que par unité, ce qui ne comporte guère d'indications sur le plan de la politique générale. Si Pappalardi voit grossir modestement ses rangs, cet afflux a pour contrepartie l'accentuation de l'imprécision politique du groupe et favorise un éclectisme qui existe déjà dans le « modèle kapédiste ». Précarité aggravée par le fait que le soutien matériel de « L'ouvrier communiste » (publication qui a pris la place du « Réveil ») est assuré par des éléments talentueux mais idéologiquement étrangers à la tradition politique dont le groupe Pappalardi est issu : les époux Prudhommeaux, propriétaires d'une librairie parisienne financent la publication du groupe, ce qui posera des problèmes lorsqu'ils tomberont en désaccord avec lui au début des années 1930.

 

Cependant, « L'ouvrier communiste », durant ses deux années de parution, fournit des appréciations, des critiques, des prises de positions qui constituèrent en France la principale sinon la seule des sources d'information sur la Gauche allemande jusque-là totalement inconnue dans ce pays. Le groupe Pappalardi publie la brochure de Gorter « Réponse à Lénine », tandis que la contribution de Miasnikov[4], fournit les plus suggestifs des rares renseignements qui parvenaient alors en accident sur la situation politique et sociale en Russie. Si l'on veut bien se pénétrer de cette idée que de telles informations et de tels jugements étaient à cette époque, non seulement étouffés est violemment démentis par la presse du PCF mais encore farouchement refusés par la quasi-totalité des travailleurs qui ne voulaient à aucun prix renoncer à leurs illusions et à leur représentation idyllique de l'URSS, on ne peut manquer d'être impressionné par l'âpreté incisive des positions de « L'Ouvrier communiste », dont la brochure du C. C. I. donne un excellent résumé mais qui sont en fait celles du KAPD déjà évoquées dans la première partie de cette étude.

Si l'éclatement du groupe Pappalardi fut dû en grande partie à des causes accidentelles liées à la précarité de ses moyens matériels, la sorte d'éclipse dans laquelle, au seuil des années 1930, tombèrent les tendances internationales d'inspiration kapédiste, semble liée directement à l'éclatement de la crise économique de 1929. Contrairement aux prévisions apocalyptiques de la Gauche allemande qui, implicitement, fondait ses espoirs révolutionnaires sur un écroulement général de l'économie capitaliste, le fameux « vendredi noir » amena bien la ruine des épargnants, la dévalorisation complète (mot illisible), le chômage et la misère, mais nullement la révolte sociale attendue.

La Gaucheitalienne ne ressentit pas, ou autant, le contrecoup de ce rendez-vous manqué avec la révolution. Elle continuera sur sa ligne propre comme si le « redressement » du mouvement patronné par Moscou était une grande probabilité. Conviction lourde de conséquences ultérieures pour le bordiguisme dont la cécité, plus ou moins volontaire, à l'égard du négatif du léninisme, se confond étroitement avec la combativité de la Gauche italienne, y entretient, dans la recherche de contacts avec les masses, un acharnement qui n'a guère son équivalent chez les autres tendances oppositionnelles et, surtout y anime une énergie qui, à défaut de renverser le cours des années funestes qu'annonçait le début de la nouvelle décennie, a produit un témoignage qui reste pour nous essentiel.

 

En conclusion de « l'épisode Pappalardi » on peut adopter le jugement porté par la brochure du C. C. I. lorsqu'elle établit, entre les deux « Gauches communistes » concurrentes, la distinction suivante : les militants gagnés aux idées du KAPD croyait proche une vaste explosion sociale, inscrite selon eux dans la catastrophe économique mûrissante ; ils se souciaient peu, en conséquence, d’affermir de des délimitations, d’élaborer des programmes, d'ériger des structures organisatrices que, de toute façon, la «spontanéité révolutionnaire » des masses rendrait inutiles le moment venu. Les « bordiguistes », au contraire, infiniment plus prudents quant à la proximité ou non de la « crise du système », leur posaient le préalable absolu de la reconstitution du parti prolétarien mondial sur la base d'une critique intégrale de ses erreurs passées.

 



De la Lona perd que 12 000 ouvriers en armes attendent des directives précitées intentions -- intervention de la nécessité est indiscutable, quelle que soit la stratégie choisie, défensive offensive, Gardel dépend la résistance des autres centres grévistes assaillis par la police et l'armée. Ses 12 000 ouvriers restent finalement inactifs, en grande partie à cause du conflit qui oppose leur chef. L'un de ses deux « présidents », partisans d'une passivité totale, et qui ne cesse de mettre en garde contre les « provocations » appartient à ta mort qui est toujours eue les faveurs de Lénine contre les ouvriers mais gauches » : celle qui est issue des indépendants. L'autre "il en » qui, lui, appelle à agir appartient au karaté des dons Lénine a décidé l'exclusion !

En fait Lénine utilise abusivement les faiblesses et inconséquences de la ouvrier mais théorie l'offensive » sans prendre la peine d'en analyser les causes qu'il faut rechercher dans la réaction -- sans doute sur un mode passionnel est désespéré tirer des ouvriers littéralement agressés par un adversaire résolu et s'indigne-t-il et ceci en présence de tout un parti communiste effectivement passif.

L'historiographie bordée qui est actuelle prend en considération cette « incompréhension » de Lénine mais en glissant assez rapidement sur ce point pourtant très important dans l'évolution de la IIIe internationale. Peut-être est-ce à cause d'une crainte que nous croyons non fonder : que aller au-delà de la critique dressée en son temps par bord égal, tout à la fois contre la formation déplorable de la « théorie de l'offensive » que contre le tournant à droite que représentait l'unanimité de lycée contre cette théorie, a montré la valeur historique de la position prise alors par la gauche italienne. (Cf. « historien de suspension » chapitre sur ouvriers n'est là que le moment »). Réaliste, face au « ineptie » de la théorie de l'offensive, montrent être dans certains cas en contradiction avec les conditions effectives de l'action de mars. Ainsi, dans l'entreprise géante [1] D’après la brochure, et selon le témoignage d’un ancien « bordiguiste », Bordiga supervise cette traduction.

[2] La brochure indique que la direction émigrée en France du PC d’I. (le « centriste » Togliatti, le droitier Tasca) s’inquiète de cette influence bordiguiste et fait pression sur le PCF pour faire expulser du parti les amis de Bordiga (p.29).

[3] De bonnes raisons d'alliance électorale (ce fut le cas pour la S. F. I. O) incitaient ceux qui connaissaient la vérité russe à la terre pudiquement, un simple réflexe en qui réactionnaire les y aidait d'ailleurs : à l'époque où l'extermination de la vieille garde bolchevik devint évidente et officielle (1936 - 37) la critique de l'URSS demeurait le monopole des journaux de droite de la grande presse (« Gringoire », « Candide»). Seules s'y livraient en outre de petites feuilles anarchistes et syndicalistes au public très limité.

[4] Vieux militant bolchevik de « l'Opposition ouvrière », persécuté, torturé ; réussit finalement à venir en France. Cf. sa biographie sommaire dans la brochure du C.C.I, page 36.

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