RECOURS CONTRE MON EXCLUSION DU SYNDICAT

Publié le par Jean-Louis Roche

MON EXCLUSION DU SYNDICAT

 

Par Ottorino Perrone (dit Vercesi)  1938     

 

Le texte que vous allez lire est une défense pro-domo de Perrone après son exclusion du syndicat. Dans la Gauche italienne à l’époque, il est normal de lutter dans le syndicat, avec la spécificité syndicale du combat aux côtés des travailleurs pour les revendications immédiates. Curieusement, la Gauche italienne ne comprend pas, contrairement à la Gauche allemande, que les syndicats extirpent systématiquement toute politique révolutionnaire. Perrone démontre bien par contre que les syndicats  inoculent sans gêne la politique nationaliste va-t-en guerre stalinienne. Et, c’est ici ce qui nous intéresse dans son témoignage, Perrone prend d’énormes risques. Son exclusion tient plus du mouchardage criminel qui l’expose à une expulsion de Belgique vers les geôles mussoliniennes. L’amalgame fait florès : si tu n’es pas pour les Républicains bourgeois dans la guerre d’Espagne, tu es un ami de Franco ! On voit là que les militants de BILAN n’étaient pas de simples commentateurs – si percutants – des mystifications de l’avant-guerre, mais des éléments actifs dans la classe ouvrière, s’exposant aux pires risques face à leurs étranges « camarades centristes » staliniens qui poignardaient allègrement le mouvement ouvrier, par le crime en Espagne, par la calomnie en Belgique. Finalement Perrone ne se fait pas vraiment d’illusion sur sa requête pour être réadmis, mais il se berce d’une grave illusion, il croit que la révolution « émancipatrice » se profile dans les événements en 1938. En 1939, la guerre, bouleversante, inattendue par de pourtant chevronnés révolutionnaires, sera bien là. Pour recommencer 14-18, en pire.

 

 

Bruxelles, le 20 novembre 1938

 

Au Comité National du Syndicat Générale des Employés

 

Citoyens,

 

L’assemblée du 25 octobre 1938 de la section de Bruxelles m’a exclu de l’organisation. Les seuls griefs retenus contre moi consistent en mes interventions aux assemblées, aucun acte répréhensible contre le Syndicat n’a pu être formulé à mon égard. Au surplus, la procédure d’exclusion a débuté et s’est développée quand les nouvelles dispositions de la Sûreté concernant le séjour dans le pays, des réfugiés politiques, me mettaient dans l’impossibilité d’user de mon droit d’intervenir aux assemblées. Cette exclusion, au-delà de ma modeste et insignifiante personne, met en jeu des questions vitales pour l’organisation, ce qui me force à un exposé assez long. Leibniz disait que l’essentiel consiste à discerner « la graine des choses de la paille des mots ». C’est à cela que je m’attèle et vous convie.

 

Commençons par « la graine des choses ».

 

  1. Le Parti Communiste de Belgique passe à l’attaque contre moi, il utilise, à cet effet, un document intérieur et non public du syndicat. Ce dernier hésite, pendant une année, et, à la fin, il donne pleine satisfaction au Parti Communiste. Le 23 mars 1937, sur des questions mises à l’ordre du jour par la direction syndicale, je présente une motion à l’assemblée en opposition à celle proposée par le Comité. Un membre du Comité, rédacteur en même temps de la « Voix du Peuple », retire cette motion des archives syndicales et la passe à son journal qui publie, sous la signature de Vendenboom, dans le n° du 6.4.37, un article dont j’extrais les passages suivants :

«Dans son discours au C.C. du Parti Communiste de l’U.R.S.S., notre cde Staline dénonçait avec force le trotskysme comme une agence de diversion, de provocation, d’espionnage et d’assassinat au service du fascisme hitlérien. Le trotskysme en Belgique ( petits groupes dirigés par des agents provocateurs ou des éléments étrangers (il semblait lire le Pays Réel – n.d.r.) jouent le premier violon – ne fait pas exception à la règle, au contraire ! » (…) « Donnons quelques extraits de la résolution présentée par le trotskyste italien[1] Perrone ». Et voici la conclusion :

« Pas de place, dans les organisations ouvrières, pour les pires ennemis de la classe ouvrière et du peuple travailleur ».

La question se pose : qu’aurait dû faire le Comité du Syndicat en présence de ce fait ? Les statuts disent, au point 5 : « Le Syndicat Général a pour but de défendre et de favoriser les intérêts matériels et moraux de ses membres conformément à la déclaration de principe de la Commission Syndicale de Belgique ». Or, pas de doute, la « Voix du Peuple » visait à : 1°) me faire exclure de l’organisation, 2°) me priver de mon travail, 3°) me faire expulser du pays. Et tout cela parce que j’avais commis le crime ( !) d’avoir défendu certaines opinions à une assemblée syndicale. Le Comité aurait dû envisager des démarches auprès dudit journal pour faire cesser la campagne et proposer à l’assemblée des mesures contre le membre du Comité qui s’était rendu coupable D’UN ACTE contre les statuts du Syndicat. Mais, le Comité pouvait-il rester fidèle aux statuts quand le parti qui lutte contre ces derniers détient la majorité des assemblées ? Impossible. La logique des faits conduisait inéluctablement à une première position hésitante, à une dernière de pleine obéissance.

Le 20 avril 1937, le Comité à la majorité de 5 voix contre 4 (c’est la Voix du Peuple du 27.4.37 qui me l’a appris) vota un o.d.j. où il est dit, entre autres :

 

« … proteste énergiquement contre le fait de citer publiquement le nom d’un membre de nationalité étrangère, et décide de défendre ce membre contre les conséquences éventuelles que pourrait entraîner cette faute dangereuse ».

Cet ordre du jour qui esquive l’application de l’art. 3 des statuts, se borne à répondre à des ACTES ANTI-SYNDICAUX par DES MOTS. Il ne pouvait se conclure que par une adaptation du syndicat aux actes contraires à l’organisation et à exclure de celle-ci celui à qui ne peut être adressé d’autre reproche que d’avoir prononcé des MOTS en opposition avec l’orientation de la direction syndicale.

Le 25 octobre 1938, j’ai été exclu de l’organisation et la Voix du Peuple du 28 octobre, sous le titre « Le Syndicat Général des Employés à Bruxelles exclut un trotskyste comme élément nuisible au mouvement syndical et ennemi de l’Espagne républicaine », écrit un article où il est aussi dit : « Nous tenons à féliciter le Syndicat des Employés d’avoir chassé de son sein le provocateur trotskyste, diviseur de la classe ouvrière ».

Dans « La Voix du Peuple » du 29 du même mois, le membre du Comité responsable de la délation, triomphe et écrit : « C’est un fait symptomatique qu’au moment où le tribunal républicain de Barcelone va rendre son  verdict dans le procès d’espionnage et de haute trahison intenté aux dirigeants du POUM, l’un des plus puissants syndicats bruxellois exclut de ses rangs le chef d’une fraction trotskyste (bordiguiste) solidaire des agents de Franco, Gorkin et Cie ». Le verdict est venu mais, même dans les conditions où il a été rendu (la situation de guerre) aucune des accusations d’espionnage n’a pu être retenue et les imputés ont été condamné pour avoir voulu changer les bases du régime, pour avoir donc commis un… crime qui se trouve inscrit comme tâche fondamentale du Syndicat dans la déclaration de Principe !

Je dois ajouter que, malgré l’abîme qui existe entre mes conceptions et celles du POUM, je me suis joint à la campagne menée en faveur des accusés et me joindrai aussi à l’action tendant à leur libération. Je vous fais grâce d’autres citations de « La Voix du Peuple » qui ne feraient d’ailleurs que corroborer la conclusion suivante. Ce journal vient d’atteindre le premier but : mon exclusion du Syndicat. Restent les autres : me faire chasser du Syndicat des Typographes où je travaille en qualité d’employé, et me faire expulser du pays. Le premier point a été acquis en prenant comme point de départ la motion que j’avais présentée à une assemblée régulière : celui qui aurait dû être défendu est exclu, celui qui a fait œuvre de délation reste au Comité dirigeant de l’organisation !

 

  1. Comment l’Association Typographique a réagi à la campagne de « La Voix du Peuple ».

 

Le principal de mes accusateurs, Vandenboom, est membre du Syndicat où je travaille. De ce fait il a été traduit devant l’assemblée et une proposition d’exclusion n’a pas recueilli les deux tiers des votants (184 pour l’exclusion, 90 contre, 32 nuls) après que, dans le débat, Va ndenboom s’était réclamé de l’article des statuts qui prévoit que des mesures peuvent être prises contre ceux qui nuisent à d’autres membres de l’organisation. Le fait donc que j’étais membre du Syndicat des Employés a permis à mes adversaires, non seulement d’esquiver la mesure qui devait les frapper, mais aussi d’obtenir une première victoire : mon exclusion du Syndicat. Voilà comment celui qui fait office de mon patron a répondu à l’attaque dont j’étais l’objet. Le Comité de l’Association Typographique m’a écrit une lettre qui a été publiée dans l’organe corporatif « La Voix Typographique » d’avril 1937 et que je reporte intégralement :

 

Bruxelles, le 9 avril 1937, Cher camarade,

 

Notre Comité Administratif, réuni hier jeudi 8 avril écoulé, a pris connaissance de l’article haineux paru dans « La Voix du Peuple du 6 avril écoulé, intitulé « Le Trotskysme à la rescousse de Franco » de G.Vandenboom et où l’auteur vous représente comme un misérable à la solde de Franco. Nous qui vous connaissons depuis dix ans que vous êtes attaché à notre organisation, pour être un parfait honnête homme, incapable d’une vilenie, défendant avec âpreté l’intérêt de nos camarades et même de tous ceux qui font appel à vous, nous repoussons du pied les assertions du sieur Vandenboom et vous marquons notre soldarité, notre affection et notre confiance. Nous ne pourrions pas en dire autant pour l’auteur de l’article qui ne mérite que le mépris des honnêtes gens, car un homme qui veut faire expulser du pays un camarade réfugié politique et connaissant fort bien la situation (qui deviendrait fatalement la victime de Mussolini) ne mérite rien d’autre que le mépris.

Agréez, cher camarade Perrone, nos fraternelles salutations.

Pour le Comité : le Président, signé E. VERMEE  Le Secrétaire Général, signé A.DURIEUX.

 

La conclusion saute aux yeux : c’est le syndicat où je travaille qui me sauvegarde contre les attaques dont je suis l’objet. C’est le Syndicat dont je suis membre qui hésite au premier moment, pour se rallier à la fin à l’un des désidérata de mes adversaires. Je veux encore ajouter que lorsque l’association écrivit – à la demande de Vendenboom – au Syndicat des Employés pour avoir des renseignements sur ma personne, le Comité du Syndicat ne dit pas un mot contre la campagne de « La Voix du Peuple », mais s’empresse de communiquer que j’avais été frappé d’un blâme à l’assemblée.

 

J’en viens maintenant à « la paille des mots ».

 

Avant d’examiner les textes, je dois faire une première remarque. Le Comité qui avait voté l’O.D.J. du 20.4.1937, s’opposa le 22 février 1938 à ce que l’assemblée se prononçât sur un O.D.J. dans lequel je réclamais l’application de l’art. 5 des statuts. C’est le 22.2.38 que le nom du délateur fût communiqué à l’assemblée et par l’intéressé lui-même qui déclara d’ailleurs se solidariser avec la campagne de « La Voix du Peuple ». C’est alors seulement que l’on apprit que le Comité avait voté un blâme à l’égard de Tondeur. Quelle discrétion ! Et quelle différence avec le blâme me concernant et que l’on avait aussi communiqué à l’organisation où je travaille.

En tout cas, le 22 février 1938, le Comité réaffirmait sa position du 20.4.37 et, loin d’envisager des mesures contre moi, décidait (en paroles il est vrai et tout le monde sait que les paroles servent souvent à voiler le contraire de ce que l’on fait) de me défendre. Or, tous les griefs contenus dans les deux actes d’accusation sont antérieurs au 28 février 1938. A prt un dont je m’expliquerai par la suite et qui permettra de se rendre compte des conditions dans lesquelles se déroulent les assemblées en même temps que de la correction des dirigeants actuels du Syndicat. Il n’y a qu’une seule assemblée après le 28.2.1938  et où je défendis une position qui se trouva confirmée par la suite par une décision analogue du Bureau de la C.G.T. Raisonnablement, je devrais être couvert par le Comité lui-même mais il serait vraiment osé de demander de la cohérence à ceux qui vivent au régime de la petite goutte de l’assouvissement des vanités et des mobiles personnels.

 

  1. Les actes d’accusation.

 

Il y en a deux, tous les deux ne visent que mes interventions aux assemblées et rien qu’elles. Au grand jamais je ne suis intervenu pour porter des questions d’ordre personnel contre qui que ce soit. Il ne s’agit donc que d’interventions portant sur l’orientation de l’organisation. Si je n’ai pu toucher que bien plus rarement les questions pratiques, c’est que le Comité, en ne faisant que de très rares assemblées (quatre en une année !) force les membres à ne traiter que les questions générales.

Tout d’abord une question de principe. Une proposition d’exclusion peut-elle être retenue pour des interventions aux assemblées ? Oui si l’on se base sur les critères du totalitarisme fasciste ou stalinien. Non, si l’on se base sur les critères qui régissent les organisations syndicales. Et il n’est pas inutile de remarquer que même au sein d’institutions bourgeoises (le Parlement), la déchéance de la qualité de député ou autre n’est pas prévue pour l’exercice du droit de parole au sein des assemblées. Seules les idéologies totalitaires peuvent justifier une mesure d’exclusion du type de celle qui m’a frappé, parce qu’elles se basent sur le critère que la majorité a le droit d’extirper la minorité. La démocratie parlementaire peut s’accompagner d’une évolution dans cette direction, le Syndicat jamais. Celui-ci tue sa nature même lorsqu’il  cesse de considérer que la minorité est partie intégrante de l’organisation. Intervention nuisible à l’Assemblée ? Qui en est juge ? La majorité d’aujourd’hui, celle de demain, l’autre d’après-demain et ainsi de suite ? L’arbitre n’aurait qu’une seule justification : celui que la majorité adopte. Et que vaut-il, cet argument ? Il sera osé d’affirmer que puisque l’histoire prouve que ce sont les minorités qui ont raison (celles qui deviennent majorité se laissent corrompre par l’exercice du pouvoir), il suffit d’être dans la minorité pour avoir raison. Mais, il est à repousser du pied l’idée que la majorité a le droit de frapper un membre parce qu’elle l’estime « nuisible ». Pour le frapper, il faut qu’elle puisse lui reprocher des actes répréhensibles. Par contre, lorsqu’elle le frappe pour ses idées, elle fait preuve de devenir une secte, quel que soit le nombre des votes qu’elle rassemble. Un seul ordre de mesures d’exclusion est possible à envisager pour l’exercice du droit de parole : c’est l’opposition existant entre les statuts du Syndicat et les idées qui y sont développées. Un fasciste, par exemple, ne peut être même pas admis dans l’organisation. Mais, ainsi que les textes le prouvent, aucune tentative n’est même pas faite de prouver une contradiction entre les statuts et les positions que je défends et qui se trouvent écrites dans les motions que j’ai présentées.

 

PERRONE REFUTE ENSUITE POINT PAR POINT LES ACCUSATIONS DU COMITE DU SYNDICAT DANS LA PARTIE SUIVANTE DU TEXTE EN 2 COLONNES.

 

  1. La véritable raison de mon exclusion.

 

Les circonstances prouvent ab absurdo que les raisons invoquées par le Comité ne sont pas réelles, car, ainsi que je l’ai dit, des causes extérieures me mettaient dans l’impossibilité  de parler encore aux assemblées. Le seul motif allégué tombait donc de lui-même. Il y a l’attaque de la « Voix du Peuple ». L’objection que l’on m’a faite quand je m’y suis référé, est la suivante : mais les communistes ne sont qu’une minorité dans le Comité, et le secrétaire syndical n’est pas membre du Parti communiste. Commençons par préciser que la minorité du Comité est la majorité aux assemblées, ce qui a d’ailleurs été confirmé le 29.10.35, la seule fois que les deux tendances se sont présentées séparément devant l’assemblée. Le secrétaire syndical ne déduisit point de cet échec qu’il devait démissionner, et depuis lors ce sont des résolutions du CC dans son ensemble, qui sont présentées aux séances. Mais depuis quand le changement d’accoutrement change-t-il la nature des choses ? Il est absolument secondaire si le secrétaire est oui ou non membre du parti communiste. Ce qui est essentiel, c’est l’orientation de la direction et, à ce sujet, pas de doute, le syndicats de Bruxelles qui s’est d’ailleurs prononcé pour le front populaire a pris, dans tous les problèmes du mouvement ouvrier, la position qui y correspond. J’en énumère à titre indicatif : guerre d’Espagne, guerre de Chine, affiliation des syndicats soviétiques, élections communales, politique gouvernementale en Belgique.

C’est la position du front populaire sur la guerre, et du front populaire axé sur le parti communiste, qui est la cause de mon exclusion. La position que j’ai défendue sur l’Espagne et consistant dans le défaitisme envers les Etats capitalistes en lutte et la fraternisation des travailleurs des deux secteurs, aussi bien que de tous les pays, cette position est en parfaite concordance  avec la déclaration de principe du syndicat qui dit, à la page 5 : « C’est le capitalisme qui engendre le militarisme, la paix armée et les guerres sanglantes. C’est le capitalisme qu’il faut détruire ». Il serait impossible de nier que le régime existant en Catalogne est basé sur le « mode bourgeois de production ».

Au surplus, la question de la légitimité de la position générale du défaitisme que j’ai défendue et défends encore actuellement est déjà résolue. Voici ce que, en polémique avec Trotsky, écrivait Lénine (Contre le courant, p.117) : « La transformation d’une guerre de gouvernement en guerre civile est facilitée par les revers militaires, par les défaites (souligné dans le texte) des gouvernements ; d’autre part, il est impossible de contribuer à cette transformation en guerre civile, si l’on ne passe pas, du même coup, à la défaite ».

Le Comité du syndicat, en se ralliant à la politique du front populaire, a pris position non contre mais pour la guerre d’Espagne, ainsi que de Chine d’ailleurs, position qu’il est impossible de concilier avec nos statuts. Mais l’ayant prise, le Comité ne pouvait qu’en déduire la conséquence inéluctable : impossibilité de tolérer dans l’organisation qu’il conduisait CONTRE LES PRINCIPES STATUTAIRES ceux qui, même par le silence, par leur seule présence, signifiaient lutte intransigeante contre la guerre et pour le respect des statuts. C’est une sorte de jugement de guerre, à formes mitigées et actuellement inoffensives que l’on a porté contre moi. L’argument n’a pas été dissemblable à celui qui a été toujours employé contre les militants internationalistes. Tu n’es pas pour la victoire républicaine, ergo tu es pour la victoire de Franco. Le poison capitaliste qui arma le bras de Vilain n’était pas autre : « Vous, socialistes français qui êtes pacifistes, alors que vos collègues d’Allemagne sont pour la guerre, vous ne pouvez être que des vendus ». Et c’est sous les huées des fanatisés criant au vendu et au traître que mon exclusion a été saluée. Pour vous présenter l’agent de Franco que je serais, je vous reproduis ici un passage de l’organe du parti communiste italien du 17.9.1927 (L’Unità) où, à l’occasion de mon expulsion de France, je me trouve ainsi renseigné, dans la liste : « Perrone Ottorino, docteur, condamné à 5 ans de déportation et échappé presque miraculeusement à une escouade fasciste qui l’avait assiégé chez lui, pour le tuer ». Veuillez remarquer que je défends aujourd’hui les mêmes positions, alors que mes adversaires atteignent le record du reniement. Pour ne pas être agent de Franco aujourd’hui, il faut pousser à l’extermination des travailleurs et c’est pour avoir lutté contre cela que je viens d’être exclu du syndicat.

Les événements marchent. Léon Blum, dans « Le Populaire » du 16.X.38, écrit au sujet du discours de Negrin : « Negrin croit possible, sans nulle intervention du dehors, ce que j’appellerais une médiation intérieure. Il croit qu’une fois laissés face à face, les partis espagnols pourraient se rapprocher spontanément » (souligné par moi).

Cette perspective se réalisera-t-elle ? Loin de moi l’idée d’y opposer l’autre de la continuation, jusqu’à l’extermination, du massacre des travailleurs en Espagne, et à son extension au monde entier. Dès le premier jour, j’ai combattu pour ce que les événements prouvent de plus en plus : la victoire d’une armée, la défaite militaire de l’autre, ne sont que la face des choses, la réalité étant que le régime capitaliste, à certains moments de son évolution, exige l’assassinat en masse des travailleurs qu’il exploite. Il est pénible de constater que la lutte pour l’objectif central du socialisme comporte l’exclusion de l’organisation syndicale.

 

  1. La procédure ayant conduit à l’exclusion.

 

C’est la fraction du parti communiste ajoutée à celle du POB préconisant la politique du front populaire qui constituait la majorité qui m’a jugé. Après mon intervention, le Comité a décidé de ne même pas répondre et, puisque ce qui l’intéressait, ce n’était pas un débat où les membres auraient pu prendre position, mais simplement d’obtenir mon exclusion, certain d’avance du résultat et craignant peut-être qu’à une nouvelle séance il y aurait eu bien plus de présents que les 220 qui se trouvaient là, il a exigé le vote. Etant donné l’atmosphère de l’assemblée, c’est même à s’étonner que 42 membres aient voté contre et 20 se soient abstenus. La « Voix du Peuple » elle-même s’en étonne.

C’est donc la fraction politique du front populaire qui m’a exclu de l’organisation. Et ici je dois dire un mot sur les fractions. Je me trouve dans le pays à qui revient l’initiative d’avoir présenté au congrès de Stuttgart la résolution sur les rapports entre parti et syndicat. Point n’est donc besoin de montrer l’équivoque des syndicats neutres. Après la guerre de 1914-18, la scission qui s’en est suivie dans le mouvement ouvrier commandait d’étendre aux différents partis, et non à un seul d’entre eux, l’esprit de la résolution de 1907, c'est-à-dire qu’il fallait considérer l’inéluctabilité de la formation des fractions en correspondance avec la multiplicité des partis. Toutefois, une règle absolue, en plus de celle de l’unité syndicale inébranlable, (mon courant et moi personnellement aussi en des congrès internationaux, a lutté contre la formation de la CGTU en France), était à observer : la fraction de n’importe quel parti ne peut ni se rattacher organiquement le syndicat, ni se mettre contre les statuts de l’organisation syndicale.

Si la fraction du front populaire pouvait me reprocher quoi que ce soit contre l’organisation syndicale, je n’aurais nullement à protester. Mais j’ai tout le droit de m’y opposer car, les faits parlent on ne peut plus clairement, on m’exclut du syndicat non pas parce que je serais contre celui-ci mais parce que je suis un adversaire acharné de la politique du front populaire auquel la direction syndicale s’est ralliée. Le Comité, pour conformer son orientation avec la politique du F.P. a, en ce qui me concerne, violé deux fois les statuts : la première fois en maintenant dans son sein, et à la tête de l’organisation, le délateur qui avait contrevenu à l’art. 5 des statuts ; la 2ème fois en m’excluant du syndicat pour le délit d’avoir une opinion opposée, non au programme du syndicat, mais au programme du F.P.

 

J’adresse ce recours et, je l’avoue, avec un sentiment de scepticisme. Ce sentiment se base sur les faits suivants :

 

1°) Aussitôt en connaissance de la proposition d’exclusion, voyant en cela une atteinte à la déclaration de principe de la CGT, je m’étais adressé à celle-ci qui me répondit que la chose était de la compétence de la Centrale. J’écrivis à cette dernière, en date du 10.7.38 et je n’ai jamais eu de réponse à ma lettre. Lors d’une démarche personnelle que je fis le 11 juillet à la centrale, le citoyen Vandenplas me dit que j’aurai obtenu une réponse verbale à ma lettre le lendemain. Rien ne m’a été dit.

2°) Le Bureau exécutif, dans sa réponse du 15 écoulé à ma lettre communiquant mon désir d’interjeter appel, signe sa lettre sans y insérer la formule de politesse conventionnelle. Et pourtant il s’agit de mes juges en appel.

 

Malgré cette prévention contre moi, j’envoie ce recours non avec le sentiment d’accomplir une simple formalité, mais comme l’accomplissement d’un geste s’incorporant à la bataille que, sans relâche, avec l’écrit, la parole, ou même le silence, j’entends continuer pour – dans le cadre strict de l’unité syndicale – contribuer à l’effort des travailleurs pour regagner à leur cause les organisations qu’ils ont fondées avec leur sang, la bataille qui, en fin de compte, sera couronnée de succès, car les événements le prouvent de plus en plus : c’est l’émancipation des travailleurs qui sauvera l’humanité.

 

Avec mes salutations syndicalistes.

 

O. Perrone                                Ottorino Perrone

                                                533, chaussée de Ninove

                                                 ANDERLECHT

 

 

BIOGRAPHIE D’OTTORINO PERRONE

 

Contrairement à ce qu’il déclare au début de son texte Ottorino Perrone est loin d’être une « insignifiante personne ». Sa croyance en la possibilité de redresser les syndicats pouvait se comprendre à l’époque, quoique le déroulement de son exclusion, à la manière toute stalinienne, soit édifiante. Il est un des « grands » du courant dit « Gauche italienne », ami et alter ego de Bordiga. Il restera incapable de tirer les leçons de la « Gauche allemande » sur l’irrécupérabillité des syndicats et du syndicalisme. Néanmoins sa lutte contre la majorité démagogique du Syndicat et les manœuvres du parti stalinien belge révèle que le prurit sectaire est toujours renaissant ; c’est avec ces mêmes méthodes néo-staliniennes que marinèrent dans une impasse glauque les derniers résidus à prétention d’être The parti, PCI et CCI, signant leur propre acte de décès pour l’histoire. Mais revenons brièvement au grand Ottorino Perrone.

Né à Aguila, le 9 mai 1897, mort le 17 octobre 1957. Etudes de comptabilité, d’économie et de droit  (faculté de Venise), docteur es sciences.

Ses activités militantes débutent en 1920. Il est nommé en octobre de cette année secrétaire de la Chambre (Bourse) du travail de Venise. Cependant, dès 1919, il avait été en contact avec les socialistes de gauche (pro Internationale Communiste), Mario Cavarocchi et Pietro Venturi. Membre de la jeunesse socialiste, il se range parmi la gauche. Au congrès de Livourne, en 1921, il « suit » les « communistes » et plus particulièrement le courant de Bordiga. D’emblée il se présente comme un militant ardent et combatif. En 1922 on le retrouve au comité de rédaction du journal communiste « Il Lavoratore ». Au congrès de Rome, en mars 1922, il soutient passionnément le Comité Exécutif contre les tendances centristes. Il est choisi alors comme un des cinq inspecteurs (ou secrétaires) inter-régions du PCI, poste qu’il conservera même après le remaniement de la direction du Parti au IIIe congrès de l’I.C. Il réorganise la Fédération d’Aguila et de Venise. Propagandiste actif il est, dès cette époque, ciblé par la police, obligé de changer souvent de résidence, de Venise à Aguila et à Milan. Lors de la préparation du 4e congrès de l’I.C. – conférence illégale du PCI dans la région des lacs lombards), Perrone se présente déjà comme l’une des personnalités les plus fortes de la gauche du parti, auprès de Bordiga. En 1924, il est dans l’équipe rédactrice de « L’Unita », organe central du PCI.

Il fait partie de la délégation italienne au IV’ congrès de l’I.C. Il prend une place de premier plan dans la bataille pour la préparation du 3e congrès du PCI (celui qui se tiendra à Lyon en 1926), pour défendre les positions de gauche contre Gramsci. Traqué par la police fasciste, en septembre 1926, il se joue habilement d’elle et vient se réfugier à Paris. Pour peu de temps. Il va aller atterrir en Belgique. Dans la dure situation de l’exil, Perrone va devenir le principal animateur théorique de la Gauche italienne et devenir l’épine dorsale de la revue BILAN. (à suivre)



[1] Pour rétablir la vérité des faits, je dois dire que je ne suis point trotskyste. A cause des profondes divergences politiques avec Trotsky, les relations politiques et même personnelles sont rompues avec lui depuis 8 ans. Ceci dit, je m’empresse d’ajouter que je ne reprends à mon compte pas une des ordures lancées contre Trotsky et que je lutte avec une extrême vigueur contre les infamies dont il est l’objet.

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